NAISSANCE D’UNE PASSION
 

        C’est au cours de ce mémorable été de sécheresse 1976 que débute cette merveilleuse histoire. Comme la plupart des aventures, elle fait suite à un surprenant fait du hasard, si hasard il y a. Elle est liée à la promenade d’un enfant de 13 ans avec son père Marcel, dans le but de briser quelque peu la monotonie des après midi d’été.

- « Veux-tu m’accompagner cet après midi ? demande Marcel,
-  où ?
- du côté de Saint Gaultier
- que vas tu y faire ?
- livrer une charrue brabant
- oui, pourquoi pas ! »

        C’est de ce bref dialogue, de ces quelques paroles si innocentes sur l’instant que découlera quelques années plus tard la création du Musée de l’Outil de la Celle-Guenand.

 

        Ce jour d’août 1976, dont la date précise m’échappe, fut donc, tel un coup de foudre, le détonateur d’une passion qui allait devenir rapidement l’objectif prioritaire d’une vie.

        Nous sommes donc partis, mon père et moi, en direction de Saint-Gaultier à une cinquantaine de kilomètres d’Obterre, et plus précisément à Oulche, chez Monsieur Bourquin. Médecin de profession. Il exerçait à Paris, et venait régulièrement se reposer dans une fermette qu’il avait acquise. Arrivés à l’adresse de livraison, je remarquais, sans véritablement y prêter attention, tellement ce spectacle m’était quotidien, quelques "vieilles ferrailles" alignées le long du chemin d’accès. La charrue brabant devant vraisemblablement compléter ce tableau, mon père la déchargea et la mis en place rapidement.

Saturateur de Limonadier
 

        C’est alors que le docteur Bourquin nous dit, mais en s’adressant plus particulièrement à moi les quelques mots suivants :

« viens donc, je vais te montrer quelques vieilleries. »

        Nous l'avons suivi le long du chemin, pour entrer dans la fermette. Puis, nous sommes montés au grenier et là, nous avons découvert des centaines d’objets d’art populaire et une multitude d’outils disposés un peu partout, mais avec beaucoup de goût dans ce vaste grenier.

«Tu vois, me dit-il, ces outils proviennent, pour la plupart, de chez ton père.»

        C’est à cette seconde précise, sans qu’il me soit encore possible de l’expliquer à l’heure actuelle, que l’idée de faire de-même m’assaillit. Etait-ce l’émerveillement d’un spectacle insoupçonné, fondé en quelque sorte, grâce à mon père, était-ce tout simplement le désir qu’éprouve nombre d’enfants à vouloir imiter les adultes, était-ce tout simplement la naissance d’une passion  ?

 
DIFFICULTES ET SPLENDEUR D’UNE FABULEUSE COLLECTION
 


        Ma première activité, en rentrant aux Deniaux, fut de me précipiter sur un tas d’outils composé de fourches, crocs, cognées et autres outils très répandus et qui n’avaient, de ce fait, trouvé aucun acheteur. J’en choisi quelques spécimens, ceux qui, à mes yeux d’enfants étaient les plus beaux. Ils allaient ainsi devenir, les premiers éléments de cette collection.

        Cependant, les toutes premières années de collecte furent principalement basées sur une certaine forme de clandestinité. En effet, si quelques fourches, et pioches prélevées sur un tas de ferraille ne posait guère de problème à mon père, il n'en allait pas de même pour des outils plus rares, placés à la vente dans le magasin et, pour me les approprier, je devais donc déjouer sa vigilance. Il est certain que je voulais diversifier mon petit "stock" qui avait bien du mal à croître. Je me souviens encore de ce jour, où ma collection dépassa les 50 outils !

        Puis, rapidement je m'aménageais mon petit "musée" sur quelques m ² au-dessus d’une ancienne écurie.

        Parfois, la seule solution, pour obtenir de nouveaux "trésors", reposait sur la complicité de ma mère. Sans elle, je ne pense pas qu’aujourd’hui cette passion serait encore active. Elle a su, quand il le fallait, me faire confiance et m’aider dans ma conquête d’outils.

 


Marie-Louise RIDET
        Ensuite, cet engouement m’a orienté vers le désir de faire partager cette passion. Je voulais que cette collection puisse être exposée. C’est alors qu'armé d’une brosse métallique manuelle, je consacrais une bonne partie de mon temps au nettoyage des outils. Je dérouillais tant bien que mal ; plutôt mal, d’ailleurs, ce qui m’obligeait pour les rendre présentables à les peindre … en noir. Et c’est ainsi que je pus faire à l’occasion d’une fête des battages à la Celle-Guenand en 1978, ma première exposition composée d’une centaine de mes plus beaux instruments attachés sur des panneaux grillagés. Ceux-ci attiraient la curiosité de nombreux promeneurs qui reconnaissaient là tels ou tels outils avec lesquels ils avaient travaillés, dans leur jeunesse, ou les avaient simplement vu utiliser.
   

        C’est certainement grâce à ces premières expositions, proposées à la Celle-Guenand, à l’initiative de M. Marcel Fortin, alors maire de cette commune, conseiller général du canton du Grand Pressigny et, par ailleurs, ami de mon père, qu'a pu se développer, dans toute sa splendeur, cette fabuleuse collection.

        L’intérêt et la curiosité suscités par ces outils, lors des ces petites expositions eurent pour effet de transmettre ce "virus" à Marcel, mon père, qui dès lors devint un facteur déterminant dans la constitution de cette collection. Il participa ainsi activement dans les toutes dernières années de son activité de ferrailleur à l’enrichir, dès qu’il le pouvait.

        Dans les années 1980, le phénomène des brocantes et autres "vide-greniers" n’existait pas comme aujourd'hui. Cependant d’octobre à juin, se tenait, boulevard des Marins, à Châteauroux, une gigantesque brocante que nous n’aurions manquée pour rien au monde.

 

        Ensuite, afin de diversifier et d'enrichir ces collections, chaque été, je profitais d’une semaine de vacances pour sillonner les routes de nos belles régions, à la recherche d’outils locaux.
Doloire de Tonnelier
 

        Ainsi, de "fil en aiguille", les expositions temporaires devinrent plus attrayantes, car plus complètes. Les plus importantes furent celle de 1987 à l’occasion du Comice agricole de Preuilly-sur-Claise, et celle de l’été 1988 au Château de Saché, dans la prestigieuse demeure où vécu une partie de sa vie, Balzac.

        Mais il fallait évoluer... aller au-delà des expositions temporaires. C’est à l’occasion d'une rencontre en septembre 1988, avec M. Marcel FORTIN, que ce dernier me proposa de visiter un local inutilisé situé à l’Ecole de la Celle-Guenand. Ravi de trouver enfin un endroit qui permettrait une exposition permanente de tous ces outils, je lui signifiais immédiatement mon accord. Après avoir obtenu l’aval du conseil municipal, les travaux d’aménagement commencèrent rapidement.
Un rêve d’enfant, mon rêve, allait enfin pouvoir se concrétiser !

        Huit mois plus tard, en 1989, le musée de l’Outil et des Vieux Métiers de la Celle-Guenand fut inauguré en présence notamment de Monsieur VOISIN, Président du Conseil Général d’Indre-et-Loire. Devant le succès rencontré, le musée fut agrandi, 2 ans plus tard, avec l’aménagement d’un grenier.

        "L’inventaire de Prévert" manque de souffle pour rivaliser avec la profusion, la multitude, la débauche d’objets exposés en ces lieux. Une abondance d’autant plus intéressante qu’elle permet la comparaison entre les époques et surtout les provenances régionales. Le musée propose, à travers ses 6 500 pièces exposées, l'inventaire de plus de 130 métiers disparus ou en voie d'extinction, certains bien connus, d'autres ignorés.

 
Christophe RIDET
Conservateur du Musée
Président de l’AMOVIME
 
 

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